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1 mars 2011 2 01 /03 /mars /2011 13:41

Me voilà à 1 jour du grand départ, du saut vers cet inconnu qui me semble le seul rivage encore capable d’être abordé. Ou de s’y échouer peut-être, repue de Progrès et de modernité.

 

Oh, vous me demanderiez certainement – nombre d’entre celles et ceux que j’espère mes lectrices et lecteurs l’ont fait - si je prépare ce nouveau départ, comment je me sens…

Et bien plutôt …curieuse : ni débordante de joie non plus, tant la perspective de mettre de la distance entre mon ange, mon elfe, et moi assombrit cet horizon qui devrait être pur azur, ni effrayée à proprement parler.

 

Pourtant, loin de moi l’idée de me faire passer pour une aventurière des temps post-modernes ! Que celles et ceux, comme ma soeur et mon beau-frère, qui m’ont subie au volant d’une voiture, sans passer la 3e par peur de perdre la maîtrise du véhicule, que Maud et JK qui m’ont guidée pour descendre d’un point de vue quand le vertige me coupait les jambes, que Céline rebroussant chemin d’une randonnée en raquette pour cause d’appréhension d’une pente trop forte, que toutes et tous ceux-ci m’en soit témoins, je ne suis pas, mais alors pas du tout téméraire pour un sou !!!!

C’est au détour d’une conversation, douillettement installée autour d’un petit apéritif, chez ma chère tante paternelle que je crois avoir saisi la clef de cette attente sereine: la vie à la ferme ne m’est tout simplement pas complètement inconnue. Ou plutôt elle m’est chère, précieuse comme tous les souvenirs qui me relie à Méry, ma grand-mère dont il ne s’agirait pas de dire qu’elle est italienne et dont le père avait, par ce prénom américanisant, annoncé son projet de s’établir aux USA, fuyant les chemises rouges et noires, après avoir vu de trop près les caniveaux de sa ville, perclus de douleurs de leurs coups aveugles.

L’océan l’avait empêché d’accomplir sa destinée et avait permis la mienne, décidant qu’un plancher des vaches où l’on mange des pâtes trop cuites valait mieux qu’une traversée hasardeuse. Et il s’y installa précisément avec des vaches.

 

Vous l’aurez compris, la vie à la ferme vit en moi, à travers le souvenir de ma grand-mère bien aimée. Car elle nous racontait, à ma soeurette et moi, souvent les épisodes les plus truculents de sa jeunesse d’un autre temps. Nous en redemandions, hilares ou ébahies par ces histoires qui composaient le feuilleté de la mythologie familiale.

C’est par elles que je veux commencer mon journal de bord.

 

Ma grand-mère devait seconder sa mère dans les soins de la basse-cour mais cela ne l’enchantait guère. Elle se méfiait par-dessus tout des coqs au bec aiguisé et des oies qui, bien qu’incapables d’un sourire carnassier, n’en avaient pas moins la dent dure. Elle avait par contre, pour les dindons, une certaine affection, une sorte de curiosité amusée devant ces bêtes affublées par Dame Nature d’une face si délicieusement ridicule.

Un jour, sa mère ne vint pas la presser de se joindre à elle. Elle restait alitée, prise d’une forte fièvre. En fille prévenante et responsable, bien décidée à suppléer la pauvre malade, Méry alla quérir auprès d’elle les consignes et conseils. Elle recueillit notamment celui d’administrer au plus gros dindon dont le comportement étrange signalait que la température l’avait lui aussi saisi un breuvage destiné à le guérir.

Ni une ni deux, Méry partit accomplir sa mission avec dignité mais aussi – elle en avait le dessein secret – célérité, afin de se ménager un peu de temps pour jouer à son aise.

Après avoir nourri l’ensemble des volatiles, elle se mit en devoir de capturer le dindon apathique. Qui se révéla cependant un meilleur coureur de sprint que ma grand-mère …

Après plusieurs tentatives, elle transforma ses essais et porta le gros animal dans la cuisine pour lui donner la fameuse potion. Sans hésitation, elle versa dans un verre 2/3 de vin et 1/3 d’un autre liquide dont j’ai oublié la nature mais inoffensif et fade – de l'eau je pense. Puis, décidant que ce dindon était si dodu qu’il en valait bien deux, lui administra un second verre de la précieuse décoction. Et pour accélérer encore sa guérison, usant de tout son bon sens, pris l’initiative de le glisser dans la partie inférieure de la gazinière à bois, qui servait à l’époque à conserver les chaussons bien chauds.

Le sentiment du devoir accompli, le cœur léger de savoir la bête bien au chaud, emplie de fierté à l’idée de son intelligence et de sa piété filiale éclatant au grand jour, Méry partit jouer.

Quand elle revint, quelques heures après, quelle ne fut pas sa surprise – scandalisée d’aussi peu de reconnaissance – de constater que le pauvre dindonpris de nausées avait soulagé son estomac sur les chaussons de toute la famille !

Méry avait en fait inversé les proportions de la boisson destinée au dindon ; ce dernier lui devait de connaître sa première et probablement dernière gueule de bois…..

 

 

L'autre histoire qui me revient concerne cette fois plus de monde.

Mes grands parents étaient en effet nés dans les années 20 et un calcul aussi vif que votre matière grise vous apprendra qu'ils atteignirent l'âge tendre en 1940.

Si le mot de Blitzkrieg ne vous dit rien, il leur parlait beaucoup : Jean et Méry, respectivement mon grand-père et ma grand-mère (si on ne m'a pas menti), habitaient alors les Ardennes, cette belle région, largement méconnue, bucolique et paisible.

Ils avaient dû, à l'annonce de l'invasion allemande en juin 1940, évacuer leur maison natale, dans laquelle ils grandissaient avec leurs parents.

Abandonner son foyer n'était pas chose facile mais les autorités les pressaient et il avait fallu se résigner à laisser meubles et surtout bétail. Un arrachement pour mon aïeul que la guerre semblait pourchasser et un peu d'ironie du sort également, car l'Italie se joignait à Hitler dans sa déclaration de guerre à la France.

 

Mais l'évacuation allait être de courte durée. Le maréchal Pétain, rappelé aux pouvoirs pour « sauver » la France de la menace teutonne, capitulait une semaine plus tard.

De retour dans leur ferme, le père de Méry constatait qu'il ne restait plus une seule bête. Adieu veaux, vaches et chevaux …. Des bêtes curieusement semblables aux siennes avaient d'ailleurs miraculeusement faitgrossir le troupeau d'un voisin.

Mais avant que de vous raconter cette histoire là, je me dois de rectifier une erreur : il restait une bête : une jument. Et pour cause ! Seul mon arrière grand-père pouvait approcher cette jument farouche et belliqueuse dont ma grand-mère se méfiait comme de la peste. La seule vertu que ma grand mère lui attribua jamais fut d'avoir sauvé une petite fille, malade et orpheline, en lui donnant son lait (n'allez pas imaginer une histoire aussi romanesque que celle de la louve de Romulus et Rémus : le lait avait été trait à grand mal par Méry et mis dans des biberons à l'attention du nourrison) Le lait de jument est réputé pour être très riche, proche à vrai dire du lait maternel.

Et elle n'avait pas tort ! Un hiver qu'elle se trouvait dans l'étable, la jument avait découvert qu'une vache d'un box voisin dévorait son avoine. Elle l'avait laissé entamer son festin pour mieux lui croquer – et lui couper net – la langue trop gourmande qu'elle tendait à travers la barrière pour ingurgiter le reste de son larcin....

 

Pendant que les familles seréinstallaient lentement, constatant les pillages en règle dont elles avaient fait l'objet, l'armée allemande annonçait des règles et des réquisitions de tout ordre, notamment celle du bétail. En fait, les soldats ne s'encombraient pas des animaux sur pied mais de leur production : oeufs, viande et lait devaient être versés aux occupants.

Mon grand-père, qui avait vainement sollicité son voisin pour récupérer les vaches qu'il reconnaissait siennes, décida alors qu'à toute chose malheur était bon. Il alla voir le gradé responsable de son village et indiqua que ses bêtes avaient disparu et qu'il serait donc dans l'impossibilité de lui livrer du lait. Le gradé, mécontent, lui demanda où ses bêtes pouvaient bien avoir fui. Et mon grand père d'indiquer la propriété voisine. Il proposa alors une petite expérience : laisser le troupeau du voisin en liberté d'aller et venir. A la tombée de la nuit, il se dirigea vers les bêtes, en appela quelques unes et rentra tranquillement chez lui. Une trentaine de vaches et veaux le suivirent jusqu'à l'étable,fidèles à leur maître !

 

 

 

 

 

 

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